J'ai proposé à Annie Lou Cot (Professeur d’histoire et de philosophie de l’économie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Centre d’Économie de la Sorbonne et REhPERE) et André Zylberberg (Directeur de recherche émérite au CNRS, Centre d’Économie de la Sorbonne) de débattre de la scientificité de l'économie dans le cadre de la série de vidéos DialectiX du laboratoire EconomiX (lien vers la viédo).
Pour Annie Cot, la science se distingue, depuis les Lumières, par sa rupture avec les croyances et son ancrage dans la rationalité. Cette perspective a été enrichie au XXe siècle par Carl Popper, qui a introduit le concept de falsifiabilité comme critère clé de la scientificité : une théorie doit être susceptible d'être invalidée par l'observation ou l'expérimentation. André Zylberberg, quant à lui, a élargi cette définition en mettant l'accent sur la quête de causalité et sur l'importance des méthodes reconnues par la communauté scientifique. Cette approche souligne non seulement la nécessité de pouvoir tester et réfuter les théories, mais aussi l'importance du consensus méthodologique au sein de la communauté des chercheurs.
L'économie, en tant que science sociale, se distingue par son approche pluridisciplinaire, empruntant des méthodes à des champs aussi variés que la médecine, la physique ou l'informatique. Cette interdisciplinarité reflète une quête constante de scientificité, comme l'a souligné Annie Cot, tout en étant confrontée à des défis uniques liés à son objet d'étude : les sociétés humaines, caractérisées par des comportements souvent imprévisibles et complexes.
André Zylberberg a complété cette analyse en insistant sur la dimension causale de l’économie, qui cherche à expliquer les mécanismes sous-jacents aux phénomènes économiques. Il a également mis en lumière les progrès méthodologiques de la discipline, notamment à travers le développement de l’économie expérimentale. Cette évolution méthodologique, bien que significative, ne doit pas occulter la nécessité de conserver une approche théorique solide, capable de rendre compte de la complexité des comportements humains et des dynamiques sociales. Ainsi, l’économie, tout en s’affirmant comme une science, doit naviguer entre rigueur méthodologique et adaptabilité face à la complexité de son objet d’étude.
L'économie expérimentale, en s'appuyant sur des méthodes empiriques pour tester des hypothèses, a connu un développement remarquable ces dernières décennies. André Zylberberg qualifie cette évolution de révolutionnaire, car elle permet de valider ou d'invalider des éléments théoriques, offrant ainsi une nouvelle rigueur à la discipline. Cependant, Annie Cot, tout en reconnaissant les avancées permises par cette approche, en souligne les limites. Elle rappelle que l'économie ne saurait se réduire à une simple accumulation de faits expérimentaux, car cela reviendrait à négliger la complexité des phénomènes économiques. Selon elle, une dimension théorique solide reste indispensable pour appréhender ces phénomènes dans leur globalité. Cette tension entre empirisme et théorie illustre le défi permanent de l'économie : concilier la rigueur des méthodes expérimentales avec la nécessité d'une réflexion théorique approfondie, capable de rendre compte de la complexité du réel.